Retour réflexif sur la commission Debout Éducation Populaire à Nuit Debout Paris – République

Le 27 janvier//333 mars 2017, nous avons animé un atelier au colloque du GIS « Les expérimentations démocratiques aujourd’hui ». Voici une version augmentée du texte que nous avons présenté. L’enregistrement de l’atelier est disponible en bas de page.


Un jardin des savoirs : les débuts de Debout Éducation Populaire

Nous, citoyen.ne.s indépendant.e.s, faisons vivre un espace de débat et de partage des savoirs sur la place de la République à Paris, depuis le dimanche 41 mars (10 avril 2016). Ce lieu a vocation à proposer une autre forme de transmission et de mise en commun des savoirs et des pratiques, hors des cadres scolaires et médiatiques. En cela, nous, collectif d’indépendant.e.s, auto-géré, voulons continuer à faire vivre ce lieu et cette communauté quotidiennement et permettre ainsi aux débats de s’y tenir. Notre fonction est avant tout organisationnelle mais chacun.e de nous reste libre de s’exprimer lors des débats, le sujet est choisi par l’intervenant.e, ses propos n’engagent que lui/elle et pas Debout Education populaire. » Charte Debout Education Populaire.

Cette charte de Debout Education Populaire a été approuvée le 8 avril 2016, ou le 39 mars, soit exactement une semaine après la naissance de Nuit Debout. Produit de la rencontre nocturne entre les étudiants parisiens et ceux de Saint-Denis durant cette cinquième semaine du mois de mars, Debout Education Populaire n’a donc pas été l’une des commissions qui ont donné vie à Nuit Debout [i]. Les étudiants de Paris 1 étaient en grève depuis plus de trois semaines et organisaient déjà des cours dans le cadre d’une « université alternative » [ii]. Ceux de Paris 8 constituaient sans doute le principal fer de lance d’une « convergence des luttes » entre travailleurs et étudiants qui avait émergé durant le mois de mars et qui s’était manifestée le 31 mars au sein du cortège unitaire de Saint-Denis. L’idée de prendre possession d’une partie de la place pour la transformer en espace de transmission du savoir a donc progressivement émergé au bénéfice des discussions nocturnes et de l’expérience acquise par les étudiants durant le mois de mars.

Dès le soir de l’adoption de la charte (le vendredi 8 avril), le compte-rendu de l’Assemblée Générale de Nuit Debout mentionne l’intervention d’une « Commission Jardin des savoirs » qui annonce la mise en place à partir du dimanche 10 avril d’un espace où chacun pourra s’inscrire « sans statut avec juste un prénom pour venir parler [de ce qu’il veut] » ; un appel à un soutien logistique est également lancé. Dans les jours qui suivent, le nom Jardin des Savoirs est remplacé par Debout Education Populaire, sans doute plus en phase avec l’ébullition politique du moment.

Debout Education Populaire
Debout Education Populaire

Installée du côté nord-ouest de la place, la commission Debout Education Populaire fait donc sa première apparition le dimanche 10 avril/41 mars. Alors que l’essentiel de Nuit Debout s’active de l’autre côté de la statue, le côté ouest accueille plutôt des curieux, des passants, de rares skateurs et deux cabanes zadistes. Ce déplacement hors de l’espace occupé depuis plus de dix jours répond plus à un besoin de sérénité et à l’utilisation d’une sono rapportée pour l’organisation d’un concert qu’à une volonté de différenciation de la commission vis-à-vis de Nuit Debout [iii]. Si les formats d’intervention et l’organisation des débats restent balbutiants, la volonté de prendre possession d’un territoire précis est manifeste : banderoles, grands murs bleus et présence statique du public invité à s’asseoir. Liée à la construction d’un tel espace, la question logistique est au centre des préoccupations des premiers organisateurs dès leur première réunion ; la recherche d’une autonomie totale de la commission en termes de logistique, de communication et d’outils informatiques fait consensus et permet de fixer un cap à l’organisation. Le soir même, Debout Education Populaire apparaît – sous le nom d’Université Populaire – dans le compte-rendu de l’Assemblée Générale de Nuit Debout :

Proposée par des étudiants qui en ont assez de la verticalité à l’université. Ils proposent des cours : 10 minutes de présentation et 40 minutes de débats tous les jours de 13 h à 19 h (par exemple Histoire de l’état d’urgence, Protection des réfugiés). Pour donner des cours, le statut ne compte pas, tous les passionnés sont les bienvenus.

La condamnation de la verticalité cible ici principalement le cadre universitaire et non le principe même de verticalité ; on peut noter que les cours alternatifs organisés à Paris 1 comprenaient la mention du statut des intervenants, faisant la part belle aux maîtres de conférence, doctorants et représentants d’organisations diverses. Cependant, le « principe d’horizontalité » si souvent associé à Nuit Debout n’est mentionné ni dans les interventions, ni dans la charte ; il se retrouve pourtant dans un dispositif (inscription libre, publication d’un programme et modération) qui prend soin d’effacer le « statut » des intervenants. Cette mise à plat des relations qui régissent le partage des savoirs ne consiste donc pas à opposer radicalement deux principes de fonctionnement mais plutôt à composer avec les deux afin de fluidifier les échanges entre des individus issus de classes et de milieux sociaux très divers [iv]. Autre signe visible d’une verticalité pratiquée par la commission, le port par ses membres d’un petit autocollant (avec le prénom) les identifiant comme membres de la commission ; cette pratique sera critiquée par certains [v], puis abandonnée. Si ce dispositif est susceptible de jouer avec le rapport de verticalité qui existe entre l’intervenant et le public – sans oublier l’entremise du modérateur –, il vise principalement à neutraliser les cadres sociaux qui entravent trop souvent l’expression des individus sur la place. En ce sens, il s’inscrit totalement dans l’esprit de Nuit Debout ; c’est également dans ce souci d’horizontalité et de libération de la parole que La Boîte à questions apparaîtra un mois plus tard.

Debout Education Populaire
Debout Education Populaire

Aux aurores du lundi 11 avril, la police vide la place de ses occupants, détruisant cabanes, potagers et autres installations construites durant le week-end. Cette première débâcle du mouvement d’occupation prive Debout Education Populaire de sa seconde journée [vi]. Il est alors décidé d’acheter une petite sono portable qui fait son apparition sur la place dès le lendemain. Equipée d’un port USB, celle-ci nous permet d’enregistrer l’ensemble des interventions afin de les diffuser via internet ; le soir même, un compte Mixcloud est créé et commence à alimenter la page Facebook de la commission. Un compte Twitter est également créé durant ces premiers jours.

Comptant une quinzaine de personnes, la commission s’organise à l’aide de plusieurs outils informatiques – une liste d’adresses e-mail et un ensemble de pads – qui offrent aux nouveaux venus les moyens de prendre connaissance de l’ensemble des informations relatives à la commission et éviter que ne se forment différents cercles en son sein [vii]. Ainsi, de nombreuses personnes ont pu intégrer la commission et y assumer rapidement un rôle égal à celui des premiers organisateurs. Le 24 avril, le site EducPopDebout.org est lancé. Il a pour principale fonction de publier la charte et le programme des jours à venir, ainsi que de répertorier de façon thématique les vingt enregistrements mis en ligne chaque semaine sur le Mixcloud [viii].

Debout Education Populaire
Debout Education Populaire

Au fil des semaines, les techniques d’organisation, d’occupation et de modération des débats sont acquises par une cinquantaine de personnes qui se succèdent jusqu’à l’été, période durant laquelle l’organisation de Debout Education Populaire prend progressivement sa composition actuelle. Présente sur la place cinq jours par semaine durant trois mois d’affilée, la commission est témoin de l’essoufflement de l’occupation deboutiste. La préparation des examens et le mauvais temps n’entament pas pour autant la détermination et le courage de ceux qui font vivre la commission entre mai et juillet. Si les affluences des premières semaines (une sono plus puissante a du être achetée) se font plus rares, les débats continuent de rassembler quotidiennement des dizaines de personnes ; c’est d’ailleurs dans ce contexte (le 14 mai/75 mars) que La Boîte à questions fait son apparition. La pause estivale décrétée par de nombreux acteurs de Nuit Debout n’est pas suivie par Debout Education Populaire qui maintient sa présence sur la place tout en la réduisant à deux jours par semaine, puis trois à partir de la mi-août. C’est dans ce contexte qu’est élaboré l’atelier « Quelle société veut-on ? », destiné non pas à partager le savoir mais à le mobiliser afin de produire un projet de société. Depuis le mois de décembre, Debout Education Populaire maintient sa présence sur la place à raison de deux heures hebdomadaires consacrées à cet atelier.

Cette commission s’est construite au sein d’un mouvement inédit et singulier qui n’a que rarement placé l’éducation populaire au cœur de ses réflexions. Il s’agissait plutôt de « convergence des luttes », de « vraie démocratie », de « parole libre », d’écologie et de tant d’autres thèmes autour desquels ont fleuri des commissions, des discours et des pratiques très diverses. L’éducation populaire en tant que pratique éducative et mouvement politique et social a peu été abordée au sein même de notre commission. Lorsqu’il nous était dit que Nuit Debout constituait une forme d’éducation populaire ou que notre activité n’était pas de l’éducation populaire, nous ne savions trop quoi penser. Si nous sommes depuis entrés en relation avec de nombreux acteurs de l’éducation populaire, nous continuons de nous considérer comme les porteurs non pas d’une longue tradition mais plutôt d’un souffle nouveau qui a pris corps lors de Nuit Debout.

Actuellement, plusieurs membres de notre commission sont actifs au sein de l’Assemblée de Coordination de Nuit Debout Paris République. Celle-ci se charge de la relation avec les différentes Nuit Debout de France, organise l’accueil, la logistique et l’occupation de la place chaque week-end aux côtés de Debout Education Populaire. Depuis la mi-décembre des événements sont organisés environs tous les quinze jours. Le principal chantier concerne l’organisation d’un rassemblement inter Nuit Debout sur la place de la République le 31 mars 2017. La semaine suivante, Debout Education Populaire fêtera le premier anniversaire de sa charte. Un appel à interventions sera bientôt publié sur notre site, sur Gazette Debout et sur NuitDebout.fr.


Spécificité du dispositif place de la République et format des interventions.

Concernant les interventions de Debout Education Populaire, elles consistent en un cadre spatial et matériel favorisant la participation de tous ; un espace ouvert sur la place de la République, délimité seulement par des cordes tirées entre des arbres sur lesquelles sont accrochées des affiches faites à la main par l’équipe et/ou par des participants adultes ou enfants lors d’ateliers, présentant notre charte, notre état d’esprit (ex : « Réfléchir c’est déjà désobéir »), des dessins. La place publique a l’intérêt pour nous d’offrir à la fois une grande ouverture et une grande liberté spatio-temporelle. Sur le plan physique, la place de la République est très accessible, et traversée par de nombreux passants. Des personnes déjà sur les lieux participent souvent à notre chantier éphémère en aidant à l’installation (installation des cordes, des affiches, de la bâche par temps de pluie…). Les cordes sont comme des frontières symboliques qui rendent visible aux yeux de tous ce qui s’y fait, permettant ainsi à tout le monde d’assister aux débats et d’y prendre part. Les participants, qu’ils écoutent ou interviennent, peuvent s’asseoir sur la place, ou rester debout, certains sont à vélo, apportent un petit tabouret. Sur le plan temporel, peu de contraintes et la possibilité de déborder sur les horaires si on le souhaite.

Concernant les différents outils mis en place par Debout Education Populaire, je vais vous présenter maintenant le format initial des interventions, qui a perduré jusqu’à l’automne 2016 et reprendra au printemps 2017 (une interruption liée à l’arrivée du froid et au fait de ne pas avoir trouvé de salle pour nous accueillir gratuitement). Il s’agit pour ce format d’interventions de personnes ayant envie de partager un savoir, quel qu’il soit, avec les autres sur la place et d’en discuter. Il suffit pour cela de simplement s’inscrire, soit auprès des membres d’Educ’Pop Debout sur la place, soit sur le site, en proposant un thème de discussion portant sur un savoir-faire, une expérience, une passion, un projet, une idée, une pensée… Nous ne présentons les intervenant/e/s qu’avec leur prénom et pas au nom d’un statut, d’une profession ou d’une compétence particulière. Les intervenant/e/s sont libres de proposer le thème qu’ils/elles souhaitent aborder sans aucune restriction thématique.

Les interventions proposées sont limitées à une heure avec une présentation d’environ vingt minutes par l’intervenant, suivie d’un débat d’une quarantaine de minutes avec les personnes présentes sur l’espace dédié. Ce dispositif permet à la parole de tout un chacun d’être écoutée et de circuler, et d’éviter un schéma trop vertical où l’intervenant laisse peu de place à la parole des auditeurs. L’ensemble des principes qui régissent notre activité a été défini dans une charte, adoptée le 39 mars (8 avril). « Notre fonction est avant tout organisationnelle mais chacun/e de nous reste libre de s’exprimer lors des débats ; le sujet est choisi par l’intervenant/e ; ses propos n’engagent que lui/elle et pas Debout Éducation Populaire. »

Debout Education populaire fonctionne par conséquent et avant tout comme un dispositif ouvert mis à disposition des individus pour s’exprimer, échanger, apprendre (et souvent contester), proposant ainsi plus une forme qu’un contenu contestataire au sein de l’espace public. Une volonté d’être un dispositif démocratique mis à disposition des citoyens qui est clairement mise en avant dans la charte.

Pendant les premiers mois de présence sur la place, les intervenants, participants et membres de la commission étaient très nombreux, permettant une occupation 5 jours sur 7. Au fil des mois, les interventions et volontaires étant moins nombreux, notre mouvement va s’alléger en termes de dispositif et passer à une occupation trois jours par semaine, puis à des interventions limitées au week-end. Les participants sont composés généralement d’habitués, souvent les premiers présents et les plus impliqués dans les débats, d’informés ou de passants sur la place.

Les autres commissions de Nuit Debout viennent aussi y intervenir et témoigner. Le 55 mars (24 avril), le site EducPopDebout.org a été lancé dans le but de rendre accessible au plus grand nombre les interventions enregistrées sur la place et postées sur le site Mixcloud. A ce jour, il référence plus de 250 articles comprenant l’enregistrement de chaque intervention, et les informations qui lui sont liées. Nous avons également recours à Facebook, Twitter et Youtube, à Démosphère, et au Périscope des Reporters Debout pour relayer notre activité et interagir avec le public hors de la place.

En vrac, grâce aussi bien aux intervenant/e/s qu’aux participant/e/s, Debout Education Populaire a ouvert un nouvel espace à la critique du capitalisme, du travail et exploré les alternatives disponibles au système actuel (écologie-décroissance-communs-DIY). On a parlé de figures politiques et intellectuelles, échangé sur des sujets aussi divers que les piratesses, l’art, la psychiatrie, la monnaie, le racisme et l’humour. Sur les questions internationales, on a eu des interventions sur les traités de libre-échange, la domination du dollar, les lobbies pharmaceutiques, l’ONU, la politique dans le Caucase, les crises politiques au Brésil, au Gabon, le conflit israélo-palestinien et un témoignage sur le Kurdistan Syrien. De nombreuses interventions sur les communs, le mouvement des places, les pratiques de la démocratie, les situations révolutionnaires, les modes de vie alternatifs (ZAD, AMAP, LAP) et la Nuit Debout ont également pris une part conséquente au sein de notre programmation.  On a rencontré [provoqué ?] des débats enflammés autour de questions telles que la prostitution, la laïcité ou l’éducation. Nous avons parlé de l’histoire des luttes féministes, du droit à l’avortement et de la question de la violence faite aux femmes. Des questions plus techniques telles que le transhumanisme, le dihydrogène, la géo-ingénierie, la sociocratie, les perturbateurs endocriniens, la blockchain ou le nucléaire ont également été abordés. On a pratiqué la boxe, la philosophie, la pensée complexe, le théâtre, le graphisme… Et bien d’autres choses encore !


L’atelier hebdomadaire « quelle société veut-on ? »

« Au temps d’harmonie: l’âge d’or n’est pas dans le passé, il est dans l’avenir ». Tableau de Paul Signac (1863-1935), peintre pointilliste anarchiste, cofondateur de la Société des artistes indépendants.

Au milieu de l’été, nous avons eu envie de créer un nouveau dispositif avec une perspective de construction à long terme. En ce sens, nous avons lancé un atelier hebdomadaire de deux heures ou même plus longtemps quand le monde est là ou bien lorsque le débat est assez constructif et que l’on sent que le public est en écoute. Cet atelier vise à répondre de façon précise et développée à la question suivante : « Quelle société veut-on ? » Il nous permet d’expérimenter, dans l’échange même, une façon de développer en commun une pensée plurielle et utopique qui nous extrait des discours dans lesquels on circule habituellement. Si cet atelier transforme notre vision du monde, il transforme aussi le rapport à soi, l’accès à des espaces de pensée emmurés ; en étirant l’imagination, on ne revient plus jamais à la même place.

Nous laissons tout le monde développer sa pensée sans jugement ; mais nous laissons aussi chacun.e critiquer la pensée s’il n’est pas d’accord tout en restant correct. Chacun.e veut une société selon ses besoins et ses convictions mais il est bien d’écouter pour pouvoir comprendre les personnes et préciser les orientations qu’on peut donner à notre société afin que chacun.e soit heureux dans celle-ci. Elle nous a amenés à une imagination fertile et intéressante pour tou.te.s. Comme pour les interventions et La Boîte à questions, nous essayons au mieux de conserver le cadre qui est l’écoute des personnes tout en restant correct et respectueux envers chacun.e. Cet atelier est quelque chose qui amène à une réflexion poussée à son maximum, permettant un débat très intéressant. Même si le monde est très variable, nous arrivons quand même à faire sortir des propositions ainsi qu’à faire un réel débat sur ces questions qui sont vastes et très lourdes à traiter mais nécessaires et bénéfiques pour tout le monde.

Pour le moment, nous avons traité :

L’ensemble des propositions alimentent chaque semaine une page sur notre site web.

Une fois les propositions développées, nous comptons aborder la seconde phase : à partir de notre société actuelle, comment y parvenir ?

En cela, nous avons mis en avant une autre finalité de la connaissance ; un partage des pensées en dehors du dualisme profit/consommation et dans une troisième dimension, celle de la perspective de transformation sociale. C’est la réinvention du faire ensemble, en créant du « pour » plus que du « contre » ; nous avons ainsi revisité les questions d’identité, de confort, de propriété.


Les liens avec les autres commissions et membres de Nuit Debout Paris République : les journées thématiques

Nous avons organisé des journées thématiques en lien avec les autres commissions de Nuit Debout : la commission Économie Politique sur l’éducation et les TAFTA/CETA/APE, Média Debout sur la liberté de la presse, féministe sur les violences faites aux femmes, écologie sur l’histoire de l’écologie et les grands projets inutiles. En effet, nous nous sommes rendu compte, plutôt par retour des avis extérieurs, que nous avions acquis une certaine qualité de modération : relancer les débats sur le thème, laisser parfois déborder, gérer les comportements agressifs ou violents, tout cela par une certaine sensibilité aux attentes/impatiences/agacements/engouements/… du public. Modérer, c’est définir les espaces de chacun.e de façon impartiale dans un lieu partagé : à debout éduc’pop nous avons tou.te.s un style de modération différent qui vise à respecter cette impartialité.

Journée thématique du 2 octobre (216 mars) avec Nuit Debout Paris République « se connaitre et faire ensemble » autour du concept de décentrement. 

Cette journée s’adressait aux participant.e.s de Nuit Debout et aux passants, notre volonté était non pas de faire une « thérapie de groupe », mais de mettre en place un dispositif qui permette aux conflits existants de se mettre en mots. La spécificité des conflits à Nuit Debout, c’est qu’il n’y a pas d’instance supérieure pour les gérer : chacun est en rapport direct avec l’autre, cela demande un engagement dans ses actes et mots. Les types de relation classique (hors Nuit Debout) s’instituent dans un rapport à l’autre aseptisé : on rencontre une image et on échange des représentations avec des codes pré-établis. Les gens se rencontrent, se croisent plutôt avec des représentations, des statuts qui nous font situer l’interlocuteur à un certain niveau qui était déjà institués par ces codes avant la rencontre. A partir de là les discours s’harmonisent, ou se transforment en figeant l’expression subjective. De là, soit « je » est inclus dans l’espace dominant, soit « je » est exclu, les frontières discursives marquent les plus fortes inégalités et conduisent à la haine de la différence.

A Nuit Debout, comme nous sommes en présence les uns avec les autres, ces statuts, ces discours qui protègent ne tiennent pas, il n’y a plus le tiers. C’est-à-dire qu’il n’y a pas d’instance supérieure pour déterminer les rapports de domination. Par de simples questions comme « que veux-tu dire quand tu dis… ? », on ne se cache plus derrière les concepts, la parole devient subjective, hors des discours institués, on s’engage. D’où le sentiment de non protection qui a été difficile pour beaucoup en occupant cette place, et en même temps, passé cela, arrive une sensation d’enracinement et de déploiement. Sur une place publique, ces discours pré-institués sont désarticulés, on arrive sur un rapport subjectif évoquant ce qui se passe dans les corps de chacun.e. Il n’y a pas non plus d’obligation à dire qui serait liée à l’aveu (Foucault en retrace l’histoire dans Naissance de la clinique) : il faudrait dire pour pouvoir être, pour prendre existence. Seulement c’est dans l’ordre où un autre récupèrerait ce qui est dit, en reconnaitrait la valeur et à partir de cette interprétation, soit à nouveau transformation en discours de ce qui est d’abord expression subjective. A Nuit Debout, ce qui est dit est dit, la prise de parole dans un micro se passe de toute interprétation, affecte directement ceux/celles qui écoutent et les transforme.

Sans créer de tiers, ces choses qui nous affectent et nous engagent psycho-physiquement, on peut les projetter sur une scène, en s’en rendant spectateur affecté comme les autres. Dans le fait de le projeter sur une scène, même si on l’a vécu initialement comme partie prenante, on peut ici prendre en compte qu’on a été traversé par cet évènement, mais qu’en le projetant, on le rend aux autres en se mettant tou.te.s sur un rapport équivalent de perception de la scène. Ça nous a permis de se créer soi-même, enfin chacun.e d’entre nous, une petite barrière de protection qui ne nous empêchait pas de rentrer en contact avec l’autre, bien au contraire de pouvoir l’échanger avec l’autre en le projetant sans se sentir effracté.

Voici de quelle façon nous avons organisé cette journée :

15h : débat sur les luttes subjectives dans notre rapport aux autres, nous avons précisé que l’on ne parlera pas de soi pendant toute la journée, mais que l’on parlera de situations générales : même si on l’a vécu, on le projette sur une scène extérieure avec des protagonistes virtuels.

Nous avons écrit des scènes/types et des propositions pour les gérer, afin de lancer le débat. Ces propositions rédigées ont été lues par les membres d’éduc’pop : on lisait une proposition qu’un.une autre avait écrit. Après ces lectures, nous avons lancé le débat pour que le public réagisse sur ce que nous avons lu et propose aussi de nouvelles situations de conflit. https://educpopdebout.org/2016/10/04/journee-thematique-du-2-octobre-se-connaitre-et-faire-ensemble-partie-1/

16h : écriture de scènes de théâtre par rapport aux situations exposées en amont. Les personnes se réunissent par groupe de 5 pour écrire des situations avec 5 protagonistes (ou 4 protagonistes et une voix off). Le temps de rédaction va de 30 mn à 1h en fonction de ce qui se fait. Puis, nous avons joué les scènes ! les textes écrits par un groupe sont lus et interprétés par un autre groupe. Du coup, chacun.e joue un personnage qu’il n’a pas inventé et donne des répliques écrites par d’autres. Après chaque scène nous avons fait un débat sur ce que l’on a entendu et vu. https://educpopdebout.org/2016/10/04/journee-thematique-du-2-octobre-se-connaitre-et-faire-ensemble-partie-2/

Nous avons expérimenté l’engagement dans la prise de parole et la capacité à se décentrer qui transforment l’action et la décision publique. Ce qui se joue dans cet espace ouvert est le déplacement des imaginaires institués, le renouvellement des rapports à la création, l’accès à une pensée complexe : le pouvoir de l’humain n’aurait plus à s’orienter vers son environnement, mais vers lui-même et son rapport aux autres.

 

Journée thématique du 18 décembre (293 mars) « faites la dignité, la solidarité, la convivialité » : porteur de parole.

https://educpopdebout.org/2017/01/03/faites-la-dignite-expression-libre/

Nous avons créé un espace cette fois non pas audible mais visible et participatif avec des questions affichées aux murs (que nous avons montés) et une personne relayant par écrit les réponses des passants. Dans le passage à l’écrit, il a souvent été difficile aux personnes « observant » de participer, de produire de la matière à partir de leur pensées en laissant une trace.

Dans l’oral, il y a des traces qui ne sont pas de l’ordre du visible, l’écrit porte une visibilité de la place occupée dans un espace. Dans le fait d’occuper un lieu public, de reconstruire chaque jour le cadre dans lequel on va prendre la parole, et de le quitter comme on l’avait trouvé, il y a une inscription physique, matérielle, inhérente à notre action même. Les corps sont déjà en prise avec le lieu qu’ils ont constitué en collectif, et cela pose un rapport à la création permanente, bien que précaire. L’espace se construit, se matérialise entre les cordes, les affiches, les paroles, les écrits et tous ces actes qui le font prendre corps et devenir en lui-même un lieu d’accueil, de bienveillance et de partage.

Se marque ici la distinction entre construction et productivité : si nous ne sommes pas capable parfois de nous arrêter et de nous poser parce que l’un d’entre nous est sur le point de tomber, on ne pourra jamais rien construire de solide ensemble. Ce n’est pas une question de faire des préférences, mais on ne peut traiter tout le monde de la même façon parce qu’il/elle n’a pas les moyens de s’exprimer « correctement » dans un cadre défini par ceux/celles qui déjà s’exprime le mieux et sont le plus écoutés. L’efficacité va avec la conformité imposée, elle est inhérente à son processus même en effaçant toute souffrance qui la freinerait. Donc c’est créer un espace où l’invisible et l’inaudible puissent croiser les savoirs et les préconceptions sans se heurter, avec des conflits certes, mais où déconstruction et construction vont de pair. Cela est un processus infini tant que ces lieux demeureront occasionnels… Si nous ne faisons pas tous les jours ce que nous voulons voir dans la société à venir, par manque de temps ou peur d’être ralenti, nous sommes sûr de ne jamais y arriver.


Quelques journées marquantes, événements inattendus et créations permanentes

Debout Éducation Populaire est en effet une aventure humaine hors norme. Chaque journée est comme une première, on ne sait pas ce qui nous attend. C’est un peu comme lorsque vous partez en colonie de vacances, vous vivez des émotions  très fortes très vites. Rare sont les moments où nous en sommes ressortis déçus, au pire on se disait : ça c’est trop bien passé. Pourtant tout n’a pas été rose, mais ce qui était positif prenait souvent le dessus sur ce qui avait été moins bien.

Ce qui nous a marqué  ce sont ces petits riens, ces sourires, ces tapes amicales sur l’épaule,  ces mercis, ces félicitations de la part d’inconnus. C’est difficile de mettre des mots sur tout ça, ce sont des ressentis, ça restera à jamais en nous, peu importe ce qu’il se passera ensuite.

Des moments forts nous en avons vécu beaucoup et s’il faut en sortir du lot, nous citerons le débat sur la prostitution humaniste, l’intervention sur l’histoire des prisons pour jeunes. Nous avons fait des choses improbables comme peindre sur la place avec de l’eau.  Nous avons eu aussi ces moments où nous avions du mal à contenir nos larmes comme lorsque nous avons fait intervenir 2 migrants de Stalingrad ou cette parole libre improvisée lors des commémorations du 13 novembre. A contrario beaucoup de sourire lors de nos ateliers  peintures ou les enfants se précipitent sans se poser de question ou l’atelier participatif où chacun.e devait écrire sa journée idéale.

La boîte à questions

Depuis le mois de mai, nous proposons un créneau hebdomadaire appelé « la boîte à questions», durant lequel les personnes présentes débattent autour d’une question déposée anonymement dans une boîte, sans faire appel à un/e expert/e pour y répondre. C’est un franc succès qui nous permet d’éprouver la façon dont les connaissances échangées visent non pas un but utilitaire mais à satisfaire une curiosité, un enrichissement interne, un déplacement de son point de vue. Une méthode qui s’est également avérée utile pour combler l’absence d’intervenant sur un créneau et permettre au débat d’émerger.

Les questions traitées ont par exemple porté sur des questions telles que « Expliquer, est-ce garder le pouvoir ? »; « la persistance des gouvernements dictatoriaux dans le monde »; « quand on aide, est-ce plus pour soi ou pour les autres? »« Comment rassembler l’humanité dans [sic] un seul drapeau commun contre le néo-libéralisme ? » ; « Un revenu égal et juste (salaire, retraite, refonte des prestations sociales …) pour tous, qu’en pensez vous? » ; « Le pacifisme est-il une solution opérante ? ». On s’aperçoit souvent que l’absence d’un intervenant principal permet une plus grande libération de la parole.

 


En dehors de la Place de la République

Notre limite se situe dans l’espace lui-même, à savoir celui que nous avons été amenés à créer; nous nous sommes plusieurs fois posé la question de nous déplacer hors du centre de Paris, vers les périphéries ; mais chaque fois la crainte d’imposer notre présence comme « éducatrice » nous a arrêtés. Sur une autre place, ne serait-il pas mieux que ce soient les personnes qui la vivent qui s’y arrêtent pour porter une pratique similaire, que ce soit chaque fois de l’interne que le potentiel d’enrichissement fasse jour ?

Cette question est importante pour nous car notre projet nous plait et nous avons envie de le proposer à un maximum de personnes. Le problème est, que lorsque nous allons ailleurs, nous ne sommes plus sur la place de la république : donc comment faire pour étendre notre champs d’actions ? Nous avons décidé de nous permettre d’être absent de temps en temps ou de nous diviser pour être présent à d’autres endroits.

Notre première expérience à été la participation le 10 juin à une journée d’études « paroles partagées » (projet porté par la Confédération nationale des foyers ruraux, la Fédération française des maisons des jeunes et de la culture et la Fédération des centres sociaux de France) consacrée à la question « comment partager la parole pour agir collectivement ? », où après avoir participé à différents ateliers sur la question, nous avons présenté aux participants présents notre action sur la place.

Ensuite nous avons été en juillet à une université d’été dans Paris pour discuter « des nouvelles figures du social » mais l’intervenant n’est pas venu et il y avait très peu de monde pour participer. Nous avons donc été dans un autre atelier qui portait sur l’utopie et cela tombait bien car nous avions tout à fait notre place dans ce débat. Ce qui a été frappant pour nous c’est de voir à quel point notre vision des choses est différente lorsque nous réalisons des actions sur le terrain et lorsque nous réfléchissons en étant à l’extérieur du terrain. Ces deux premières sorties de la place ont été positives mais ce n’était que le début. Au final on s’est rendu compte que ce n’est pas forcément nous qui devions aller vers les autres mais que se sont les autres qui sont venus à nous.

En effet nous avons été invité par l’association culture et liberté à participer à un week end « Pour une éducation populaire engagée » organisé par l’association culture et liberté à Arras. Durant ce week end nous avons eu la chance de rencontrer des membres d’associations diverses d’éducation populaire pour discuter de l’avenir de l’éducation populaire. Les questions principales qui ont été abordées sont : « A quoi sert l’éducation populaire ? « , « Qu’est ce que faire front ? », « et surtout « Comment garder le lien entre les associations pour amener de l’ampleur à notre mouvement » ? Les échanges ont été riches, nous avons créé des contacts, nous avons beaucoup appris, nous avons découvert de nouvelles façons d’animer un débat, nous avons réalisé des ateliers. Toutes ces activités nous ont enrichis, cela nous a permis de mettre en place de nouvelles choses sur « notre » place. Ce à quoi nous nous attendions moins, c’est l’attention que portaient les gens à nos expériences. En effet la plupart des gens qui étaient présents sont internes dans une structure ou dans un lieu fermé alors que nous, nous sommes directement et constamment au cœur de l’espace public.

Une semaine après le week end à Arras nous avions de nouveau été invités pour une journée sur « l’éducation populaire engagée » à Paris.. Cette fois ci c’est un membre de l’association « pouvoir d’agir » qui était venu nous voir directement sur la place pour nous proposer de participer. La journée était à peu près organisée comme le week end à Arras. Nous avons réalisé des ateliers pour créer du lien entre les gens et en sortir des projets concrets pour faire évoluer le mouvement de l’éducation populaire. Ce que l’on peut retenir de tout ça c’est que par moment il faut savoir s’éloigner de notre place pour découvrir de nouvelles façons de fonctionner, d’échanger nos idées et de se donner du courage pour ne rien lâcher et garder notre motivation. C’est sur des valeurs fortes que nous pouvons nous rassembler mais pour cela il faut tout d’abord apprendre à nous connaître.


[i] Celles-ci sont les commissions Accueil et Sérénité, Action, Animation, Communication, Convergence des luttes, Logistique et Restauration. Les commissions « thématiques » ont commencé à apparaître dans les CR de l’AG à partir du 6 avril/37 mars.

[ii] Celle-ci était organisée par le « Comité de Mobilisation de Paris 1 pour le retrait de la loi travail ». Dispensés à Tolbiac, au Centre Panthéon et à la Sorbonne, ces cours touchaient à des thèmes en relation avec la lutte en cours contre la loi travail : « Les inégalités de genre et la loi travail » par la commission non-mixte du comité (4 avril) ; « Mouvement étudiants et grève générale en mail 1968 » par Guillaume et « Révolutions du long 19e siècle et questions sur la loi travail » par Mathilde Larrère (6 avril) ; « De l’émancipation selon la Boétie, parallèle avec Utopia de Thomas More » par Alice Vintenon (8 avril). Des conférences et débats étaient également organisés : « La réduction du temps de travail » et « La loi travail » (7 avril) ; « L’état d’urgence » (8 avril).

[iii] Nous avons unanimement condamné la présentation de Debout Education Populaire par certains journalistes comme un « mouvement créé [sic] en marge de Nuit Debout ». Une fois en possession de sa propre sono, la commission s’installera du côté sud-est de la place.

[iv] Sur ce point, consulter l’article « Qui vient à Nuit debout ? Des sociologues répondent » publié sur Reporterre.net le 17 mai 2016. Depuis l’essoufflement de l’occupation à la fin du printemps, nous constatons une augmentation de la diversité sociale parmi les personnes présentes sur la place.

[v] Cela a par exemple été le cas d’un intervenant, Geoffroy, qui a comparé l’usage de « stickers » à une forme d’exercice de pouvoir ou de délégation visant à une forme de normalisation.

[vi] Il était prévu de parler de la protection des salariés, de Karl Marx, du libéralisme, de la décroissance et des usages de l’Histoire par l’extrême droite. Les interventions du dimanche 10 avril avaient porté sur l’état d’urgence, la Commune de Paris, la Terreur, les révolutions de 1848 et mai 68.

[vii] Sur ce point, le témoignage de Patrice Maniglier relatif au fonctionnement de la commission Démocratie de Nuit Debout Paris République offre un éclairage précieux sur la question de l’usage des outils informatiques dans la transmission des informations et la constitution de cercles de pouvoir au sein des commissions. MANIGLIER, P., « Nuit Debout : une expérience de pensée », Les Temps Modernes, no. 691, novembre-décembre 2016, pp. 246-8.

[viii] Actuellement, notre compte Mixcloud totalise plus de trois mille heures d’écoute pour 252 enregistrements réalisés sur la place.


l’enregistrement complet de l’atelier.

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