Visite historique avec Aurore : « Paris à feu et à sang »

Samedi 10 septembre // 194 mars à 15h.


Présentation

Voici le compte rendu de la première visite historique organisée par Debout Education Populaire. Notre guide était Aurore, une guide professionnelle qui nous a proposé cette initiative durant l’été. Il ne s’agit que d’un aperçu très général d’une longue présentation de l’histoire de Paris. Impossible de retranscrire avec fidélité et précision le récit d’Aurore tant celui-ci était riche, rempli d’anecdotes, de citations et de dates.

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Après un rendez-vous fixé à 14h30 sur la Place de la République, nous nous rendons à St Michel pour retrouver d’autres participants. Il est 15h ce samedi 193 mars, le temps est radieux et nous sommes près de vingt personnes impatientes que la visite débute. Nous avions rapporté un mégaphone qui ne fut d’aucune utilité tant Aurore sais se faire entendre et ce malgré le bruit de l’important traffic automobile dans le vieux Paris. Nous avons pour notre part un petit tableau avec indiqué « Debout EducPop – visite historique – gratuit/free ». Aurore a en main un classeur au sein duquel elle conserve non seulement ses notes (utile pour les dates précises) mais surtout des images qui serviront à illustrer son récit.


La visite

Devant la fontaine St Michel, Aurore nous parle tout d’abord des événements de mai 1968, et plus particulièrement de la nuit du 10-11 mai durant laquelle les étudiants décident d’occuper le quartier latin et d’y dresser des barricades. saint-michel-68Aurore nous rappelle que c’est à la suite de cette nuit marquée par une dure répression que le mouvement de contestation étudiant s’est élargit à l’ensemble de la société ; à partir du 13 mai, la grève générale s’impose progressivement en France, secouant le régime du Général de Gaulle et l’ensemble de la société française.

De la fontaine, nous traversons le Pont St Michel pour nous retrouver devant une plaque mémorielle consacrée à la mémoire des victimes de la répression de la manifestation des nationalistes algériens du 17 octobre 1961. Aurore nous rappelle le contexte dans lequel cette manifestation pacifique a pris place : le bras de fer entre le FLN et un Etat français qui comptait dans ses rangs de haut fonctionnaires qui s’étaient déjà illustrés durant la collaboration. C’est ainsi qu’on en vient à parler de la très violente répression qui s’est abattue sur les manifestants et qui a été orchestrée par le Préfet de Police de Paris de l’époque, Maurice Papon. Plusieurs participants interviennent pour apporter des précisions sur cet épisode de l’histoire de France, une histoire qui reste toujours à écrire, notamment grâce au recueil de témoignages et d’un travail documentaire qui permettrait de connaître avec précision le nombre de victimes de la répression. D’autant que le massacre de Charonne intervenu 4 mois plus tard a quelque peu occulté le souvenir du 17 octobre 1961. 17-octobre-1961-e1364667967261Aurore tient également à préciser que durant ces années de lutte nationaliste, la violence était diffuse et ne se limitait pas à la répression de l’Etat français. Elle nous rappelle que le conflit entre le FLN et le MNA, ainsi que les attentats du FLN et de l’OAS firent de nombreuses victimes dans la capitale.

Après quelques mètres parcourus en direction du centre de l’Île de la Cité, nous nous retrouvons devant la Préfecture de Police de Paris. liberation-paris-1944-1Aurore nous parle alors de la libération de 1944, et plus précisément de l’insurrection de Paris dirigée depuis cette préfecture prise par les forces de Rol-Tanguy le 19 aout 1944, alors que depuis plusieurs jours la grève générale avait été déclarée. Aurore nous fait alors revivre les affrontements entre les insurgés et les blindés allemands positionnés du côté du Châtelet. Elle n’oublie pas non plus de rappeler que ce sont des Espagnols qui constituaient l’essentiel des forces que dirigera Leclerc dans la reconquête militaire de la capitale.

En marchant encore vers le nord, nous nous retrouvons en face du Palais de Justice, sur la place Louis Lépine/rue de Lutèce. C’est l’occasion de partir quelques siècles en arrière, au temps de la Première République. Aurore nous parle alors de la terreur : sa genèse, ses modalités et son instrumentalisation par l’histoire officielle à partir de la Restauration (1815-1848) ; 20160910_155816sur ce point, elle nous avise de rester vigilant sur les constantes réécritures de l’histoire et prend comme exemple la figure de Robespierre qui, présenté comme un monstre dans le passé, est actuellement l’objet d’écrits extrêmement favorables à sa personne et l’action de son camp politique. Elle nous donne ensuite des détails sur la Conciergerie où étaient séquestrés les « suspects », mais également sur les différences de traitement que recevaient ces derniers en fonction de leur richesse. Une participante en profite pour rappeler que c’est toujours entre ces murs que les réfugiés en situation illégale sont poursuivis et jugés, établissant un rapport direct entre la terreur des 1793-4 et notre actualité.

La petite assemblée reprend la marche à travers le Marché aux Fleurs, traverse la rue de la Cité pour s’arrêter sur le Quai de la Corse, au niveau de l’Hotel-Dieu. Aurore nous parle alors de la place de grève et de l’Hotel de Ville. commune_de_paris_24_mai_incendie_de_lhotel_de_villeAprès avoir rappelé l’importance sociale, économique et politique de cet espace depuis l’époque médiévale, Aurore en vient à nous raconter l’histoire de la Commune de Paris. 1870-canons-montmartreElle insiste sur la politique de construction qui a suivit la sanglante répression du mois de mai 1971 : la reconstruction à l’identique (un peu plus volumineux) de l’Hôtel de ville et surtout celle d’une basilique sur le lieu même où le 18 mars 1971 les soldats s’étaient rangés aux côtés des parisiens, au sommet de la butte de Montmartre : le Sacré-Coeur.

 

Il est 16h30 et personne n’est fatigué ; au contraire : on ressent dans l’assistance un véritable engouement pour cette visite et une envie de revenir vers des temps plus anciens et peut être moins sanglants que le massacre de 1871. communards-executedIl nous suffit juste de traverser le Pont au Change pour parler du Châtelet et de son petit frère désormais disparu. Leur fonction? Protéger Paris des Vikings. Nous voilà donc transportés au IXème siècle, à l’époque où régnaient encore les Carolingiens et où les hommes venus de Scandinavie effectuaient en France des raids particulièrement ravageurs à peu près tous les dix ans. Aurore nous raconte alors comment Eudes, depuis peu Comte de Paris, est parvenu à défendre Paris contre les attaques du roi Siegfried en 885-6. sipa_00353685_000004Seulement, la crue du 6 février 886 qui emporte le Petit Châtelet situé rive gauche permet aux Vikings de prendre l’avantage sur les défenseurs de Paris et imposer ses termes à la levée du siège. Si dans la situation particulièrement catastrophique Eudes est parvenu à faire ses preuves, le roi de l’époque Charles III le Gros a fait preuve de faiblesse, ce qui provoque sa destitution en février 887. Il est remplacé par Eudes, considéré comme le héros du siège de Paris. Par ce fait, les Carolingiens perdent la couronne de France qui, en 987, revient à son petit-neveu, Hugues Capet qui inaugure la très longue dynastie des Capétiens.

Nous nous dirigeons ensuite vers l’ouest, le long du Quai de la Mégisserie. Entre deux bouquinistes, nous nous arrêtons pour écouter l’histoire d’Etienne Marcel, des états généraux de 1355 et des rois Jean II le Bon et Charles V. 87d50c1805Aurore nous présente cet épisode de la Guerre de Cent Ans comme l’une des prémisses de la Révolution Française. C’est en effet à l’occasion de la captivité du roi de France que les riches marchands parisiens (les bourgeois?), avec à leur tête Etienne Marcel, acceptent de payer la libération du roi fait prisonnier par les anglais à condition qu’ils puissent désormais décider de qui siègerait au Conseil du Roi. Cette importante remise en question du pouvoir royal est coupée court par le nouveau roi, Charles V, qui parvient à fuir Paris, puis à discréditer Etienne Marcel (soupçons d’arrangements avec les Anglais), ce qui provoque l’assassinat de ce dernier. Aurore nous présente cette mise à l’épreuve du pouvoir royal comme un facteur de renforcement du pouvoir royal.

Il est bientôt 17h et nous voilà en route vers la Cour Carrée du Louvre. Ainsi, après avoir passé le Pont Neuf, nous longeons le Quai du Louvre avant de bifurquer sur la rue de l’Amiral de Coligny. Aurore nous invite à bien observer l’Eglise Saint-Germain l’Auxerrois qui jouxte la Mairie du 1er Arrondissement. Une fois installés dans la cour carré, Aurore nous parle d’un autre épisode sanglant de l’histoire de Paris : le massacre de la Saint Barthélémy, déclenché le 24 aout 1572. parcours-protestant-massacrC’est avec de nombreux détails qu’elle restitue le contexte de cette tragédie de la quatrième des guerres de religion et qu’elle nous raconte le déroulement des événements.

En guise de conclusion pour cette visite historique, Aurore nous lit un passage des Misérables de Victor Hugo, véritable réflexion sur la violence en milieu urbain : quelle est la différence entre l’émeute et l’insurrection? Aurore insiste sur l’importance de ne pas céder trop facilement aux versions de l’Histoire qui nous font plaisir. les-miserables-801774C’est en réalité un éclairage sur le débat entre Mémoire et Histoire qu’Aurore nous a offert durant cette visite. Plutôt que céder à la facilité des explications qui nous séduisent ou nous arrangent, Aurore nous invite à nous intéresser à leur complexité et ainsi développer notre propre critique des événements du passé, ce qui demande un véritable effort tant la neutralité de l’historien apparaît impossible (Howard Zinn – 2006).

Après plus de deux heures de déambulation dans le vieux Paris, le petit groupe remercie Aurore pour cette magnifique visite puis se disperse progressivement. Nous avions prévu un retour sur la Place de la République afin de discuter de cette visite, mais en raison de la fatigue générale, nous décidons de reporter cette discussion qui sera sans aucun doute bientôt mise au programme.

Pour contacter Aurore, nous vous invitons à visiter son site : http://www.dedale.org/


Voici le texte de Hugo que nous a lu Aurore :

LA SURFACE DE LA QUESTION



De quoi se compose l’émeute ? De rien et de tout. D’une électricité dégagée peu à peu, d’une flamme subitement jaillie, d’une force qui erre, d’un souffle qui passe. Ce souffle rencontre des têtes qui parlent, des cerveaux qui rêvent, des âmes qui souffrent, des passions qui brûlent, des misères qui hurlent, et les emporte. Où ?
Au hasard. À travers l’État, à travers les lois, à travers la prospérité et l’insolence des autres.

Les convictions irritées, les enthousiasmes aigris, les indignations émues, les instincts de guerre comprimés, les jeunes courages exaltés, les aveuglements généreux ; la curiosité, le goût du changement, la soif de l’inattendu, le sentiment qui fait qu’on se plaît à lire l’affiche d’un nouveau spectacle et qu’on aime au théâtre le coup de sifflet du machiniste ; les haines vagues, les rancunes, les désappointements, toute vanité qui croit que la destinée lui a fait faillite ; les malaises, les songes creux, les ambitions entourées d’escarpements ; quiconque espère d’un écroulement une issue ; enfin, au plus bas, la tourbe, cette boue qui prend feu, tels sont les éléments de l’émeute.

Ce qu’il y a de plus grand et ce qu’il y a de plus infime ; les êtres qui rôdent en dehors de tout, attendant une occasion, bohèmes, gens sans aveu, vagabonds de carrefours, ceux qui dorment la nuit dans un désert de maisons sans autre toit que les froides nuées du ciel, ceux qui demandent chaque jour leur pain au hasard et non au travail, les inconnus de la misère et du néant, les bras nus, les pieds nus, appartiennent à l’émeute.
Quiconque a dans l’âme une révolte secrète contre un fait quelconque de l’État, de la vie ou du sort, confine à l’émeute, et, dès qu’elle paraît, commence à frissonner et à se sentir soulevé par le tourbillon.

L’émeute est une sorte de trombe de l’atmosphère sociale qui se forme brusquement dans de certaines conditions de température, et qui, dans son tournoiement, monte, court, tonne, arrache, rase, écrase, démolit, déracine, entraînant avec elle les grandes natures et les chétives, l’homme fort et l’esprit faible, le tronc d’arbre et le brin de paille.
Malheur à celui qu’elle emporte comme à celui qu’elle vient heurter ! Elle les brise l’un contre l’autre.


Elle communique à ceux qu’elle saisit on ne sait quelle puissance extraordinaire. Elle emplit le premier venu de la force des événements ; elle fait de tout des projectiles. Elle fait d’un moellon un boulet et d’un portefaix un général.

Si l’on en croit de certains oracles de la politique sournoise, au point de vue du pouvoir, un peu d’émeute est souhaitable. Système : l’émeute raffermit les gouvernements qu’elle ne renverse pas. Elle éprouve l’armée ; elle concentre la bourgeoisie ; elle étire les muscles de la police ; elle constate la force de l’ossature sociale. C’est une gymnastique ; c’est presque de l’hygiène. Le pouvoir se porte mieux après une émeute comme l’homme après une friction.

LE FOND DE LA QUESTION

Il y a l’émeute, et il y a l’insurrection ; ce sont deux colères ; l’une a tort, l’autre a droit. Dans les états démocratiques, les seuls fondés en justice, il arrive quelquefois que la fraction usurpe ; alors le tout se lève, et la nécessaire revendication de son droit peut aller jusqu’à la prise d’armes. Dans toutes les questions qui ressortissent à la souveraineté collective, la guerre du tout contre la fraction est insurrection, l’attaque de la fraction contre le tout est émeute…

Ce que le suffrage universel a fait dans sa liberté et dans sa souveraineté, ne peut être défait par la rue. De même dans les choses de pure civilisation ; l’instinct des masses, hier clairvoyant, peut demain être trouble. Les bris de machines, les pillages d’entrepôts, les ruptures de rails, les démolitions de docks, les fausses routes des multitudes, les dénis de justice du peuple au progrès…

Quelquefois le peuple se fausse fidélité à lui-même. La foule est traître au peuple. Le bruit du droit en mouvement se reconnaît, il ne sort pas toujours du tremblement des masses bouleversées ; il y a des rages folles, il y a des cloches fêlées ; tous les tocsins ne sonnent pas le son du bronze. Le branle des passions et des ignorances est autre que la secousse du progrès. Levez-vous, soit, mais pour grandir. Montrez-moi de quel côté vous allez. Il n’y a d’insurrection qu’en avant. Toute autre levée est mauvaise. Tout pas violent en arrière est émeute ; reculer est une voie de fait contre le genre humain. L’insurrection est l’accès de fureur de la vérité ; les pavés que l’insurrection remue jettent l’étincelle du droit. Ces pavés ne laissent à l’émeute que leur boue.

De là vient que, si l’insurrection, dans des cas donnés, peut être, comme a dit Lafayette, le plus saint des devoirs, l’émeute peut être le plus fatal des attentats.
Il y a aussi quelque différence dans l’intensité de calorique ; l’insurrection est souvent volcan, l’émeute est souvent feu de paille.

La révolte, nous l’avons dit, est quelquefois dans le pouvoir. Parfois, insurrection, c’est résurrection.



La solution de tout par le suffrage universel étant un fait absolument moderne, et toute l’histoire antérieure à ce fait étant, depuis quatre mille ans, remplie du droit violé et de la souffrance des peuples, chaque époque de l’histoire apporte avec elle la protestation qui lui est possible.

Dans les cas les plus généraux, l’émeute sort d’un fait matériel ; l’insurrection est toujours un phénomène moral. L’insurrection confine à l’esprit, l’émeute à l’estomac. Gaster s’irrite ; mais Gaster, certes, n’a pas toujours tort. Dans les questions de famine, l’émeute, Buzançais, par exemple, a un point de départ vrai, pathétique et juste. Pourtant elle reste émeute. Pourquoi ? c’est qu’ayant raison au fond, elle a eu tort dans la forme. Farouche, quoique ayant droit, violente, quoique forte, elle a frappé au hasard ; elle a marché comme l’éléphant aveugle, en écrasant ; elle a laissé derrière elle des cadavres de vieillards, de femmes et d’enfants ; elle a versé, sans savoir pourquoi, le sang des inoffensifs et des innocents. Nourrir le peuple est un bon but, le massacrer est un mauvais moyen.

Toutes les protestations armées, même les plus légitimes, même le 10 août, même le 14 juillet, débutent par le même trouble. Avant que le droit se dégage, il y a tumulte et écume. Au commencement l’insurrection est émeute, de même que le fleuve est torrent. Ordinairement elle aboutit à cet océan : révolution. Quelquefois pourtant, venue de ces hautes montagnes qui dominent l’horizon moral, la justice, la sagesse, la raison, le droit, faite de la plus pure neige de l’idéal, après une longue chute de roche en roche, après avoir reflété le ciel dans sa transparence et s’être grossie de cent affluents dans la majestueuse allure du triomphe, l’insurrection se perd tout à coup dans quelque fondrière bourgeoise, comme le Rhin dans un marais.

Le suffrage universel a cela d’admirable qu’il dissout l’émeute dans son principe, et qu’en donnant le vote à l’insurrection, il lui ôte l’arme. L’évanouissement des guerres, de la guerre des rues comme de la guerre des frontières, tel est l’inévitable progrès. Quel que soit aujourd’hui, la paix, c’est Demain.

Du reste, insurrection, émeute, en quoi la première diffère de la seconde, le bourgeois, proprement dit, connaît peu ces nuances. Pour lui tout est sédition, rébellion pure et simple, révolte du dogue contre le maître, essai de morsure qu’il faut punir de la chaîne et de la niche, aboiement, jappement ; jusqu’au jour où la tête du chien, grossie tout à coup, s’ébauche vaguement dans l’ombre en face de lion.

Alors le bourgeois crie : Vive le peuple !

Victor Hugo, Les Misérables.

3 réflexions sur “Visite historique avec Aurore : « Paris à feu et à sang »

    1. bonjour,

      Cette visite a eu lieu samedi 10 et aujourd’hui nous avons des interventions sur la place donc pas de visite historique.
      Nous tacherons d’en organiser une autre prochainement.

      Bien amicalement,

      Adèle pour éduc’pop

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