Etienne est venu questionner le mouvements des gilets jaunes

Dimanche 3 mars 2019//1098 mars à 15h


L’enregistrement est disponible en bas de page.

Je vais developper mon argumentation autour de quatre thèmes :
– la montée de l’autoritarisme : interdictions de manifester, violences policières et intransigeance du pouvoir
– les champs de l’impuissance : violence, médias, syndicats et partis politiques
– les dangers confusion rouge brune et ses citoyenniste
– les solutions : occupations, educpop, horizontalité, patience et l’international

Généalogie

Lorsqu’il est question d’analyser le mouvement actuel dit des « gilets jaunes », on peut soit revenir aux premières révoltes médiévales contre l’impôt ou se concentrer sur le cas Macron et la levée de l’écran de fumée sur son « nouveau monde » inauguré en 2017 et fait de suppression de l’ISF, de taxe sur le gasoil, de vaiselle et de barbouzeries en tout genre.

2014
Je compte pour ma part remonter un peu plus et débuter mon analyse en 2014. En mars de cette année, le gouvernement de Jean Marc Ayrault, alors premier ministre de Hollande, est contraint de démissionner suite à la terrible défaite des socialistes aux municipales. Cette défaite signe un désaveux terrible des électeurs suite aux deux années de pouvoir mou de Hollande. Il impose une remise en cause du parti et de son orientation. La question se pose : prendre un virage à gauche ou vers la droite (qui a pris de très nombreuses villes)? La réponse de Hollande est claire : il place Manuel Valls à Matignon puis, quelques mois plus tard, le jeune Emmanuel Macron à Bercy. Après avoir mise en avant la politique de l’offre en janvier (première version du ruissellement), Au Mali, il transforme l’opération de sauvetage Serval en occupation permanente du territoire par l’armée française Barkhane ; À Paris, il interdit les manifestations de protestations qui font suite au bombardement de Gaza par l’armée israélienne – n’hésitant pas à collaborer avec des organisations d’extrêmes droites telles que la LDJ et à assimiler toute critique de la politique du gouvernement Nethanyahou avec l’antisémitisme le plus crasse. Fin 2014, on aura droit à tout un cirque autour de Dieudonné, Valls se chargeant de faire la promotion du clown antisémite et de ses quenelles. J’y reviendrais.

2015
L’année commence avec un drame : les attentats de Charlie hebdo. Sous couvert de défense de la laïcité, les vannes de l’islamophobie sont alors ouvertes. L’Etat se construit un ennemi intérieur : les musulmans, sommés de se désolidariser des djihadistes, de rejeter le port du voile et de se garder de critiquer la politique française en Afrique comme au Proche Orient.
Pendant qu’on apeure les gens avec l’Etat Islamique et ses rejetons, Macron tisse sa toile, le CICE continue d’alimenter les grosses boîtes ; à la télé, les derniers auteurs des Guignols de l’infos sont virés par Bolloré, qui condamne l’émission à une mort lente. Les attentats de novembre initient une séquence de radicalisation de l’État : mise en place de l’état d’urgence, interdiction de manifester durant la COP 21 et projet de déchéance de nationalité. Début 2016, la question sociale parait totalement étouffée et ce sont les thématiques d’extrême droite qui alimentent les médias.

2016
Le réveil vient de la jeunesse et des réseaux sociaux. En février, un projet de réforme du code du travail fuite et, bien naturellement, une mobilisation s’engage. Ce sont les lycéens qui, sans attendre, engagent un mouvement de grève avec blocage des lycées et manifs plus ou moins spontanées. La réponse de l’état est violente et choque. Sur internet, une pétition lancée par un militante de gauche recueille plus d’un million de signatures = on peut y voir le signe que désormais, les français sont massivement connectés et considèrent internet comme un espace de mobilisation politique légitime.
Cette incursion d’internet dans les mobilisations est manifeste lors du mouvement de la loi travail qui, en quelques semaines, va s’accompagner du développement de nouvelle pratiques :
– Nuit Debout : l’inscription de la démocratie des places sur l’ensemble du territoire : horizontalisme, autonomie, refus de représentants, rejet des grands médias, manifestations spontanées et non déclarées.
– le cortège de tête : son rejet des centrales syndicales et des partis classiques, son aspiration au débordement, la construction d’une esthétique insurrectionnelle, notamment via le riot porn.
– le recours aux nouvelles technologies pour les discussions, la production et la diffusion d’images et de sons (notamment des violences policières) qui ont permis l’apparition d’automédias et de figures telles que Rémy Cuisine ou Nnoman.
– la popularisation d’écrits et de médias marqués très à gauche.
– la construction de solidarités et de collectifs qui, non tenus par le cadre associatif, on été à la manoeuvres sur les places et les manifestations durant tout le printemps.

L’autre fait de 2016, c’est la mise en lumière des violences de l’État, incarnées par Valls et l’impunité accordée aux policiers durant le mouvement social (notamment dans les nombreuses attaques contre Nuit Debout place de la République) et surtout à l’occasion du meurtre d’Adama Traoré en juillet. On remarque que, contrairement aux précédents crimes policiers, la mort d’Adam Traoré a été suivie d’une mobilisation aussi bien en banlieue qu’à Paris et du soutien des forces qui s’étaient constituées/renforcées au printemps : signe d’une convergence à l’oeuvre. Un phénomène qui s’est confirmé à la suite de l’aggression subie par Théo quelques mois plus tard.

2017
Il est difficile de dire à quel point Macron a fait mouche dans sa stratégie de campagne, basée sur l’organisation horizontale de groupes de discussion que certains pourraient voir comme inspirés du besoin exprimé dans les nuit debout. Le soutien de Bayrou, ainsi que les péripéties du PS et des LR ont largement contribué à sa prise de pouvoir. Ce qu’il faut retenir de 2017, ce sont les chiffres de l’abstention, notamment lors des législatives. Toute une partie de la population a clairement déserté le champ de la politique institutionnelle, pour des raisons très diverses.
Il reste un « monarque républicain » qui croit pouvoir bénéficier de la faiblesse des corps intermédiaires (partis, associations, élus, syndicats), de la solidité et de la loyauté des forces de l’ordre et de l’idiocratie ambiante infusée chaque jour par les mêmes médias qui ont portés sa candidature.

Les restes de 2016 sont pourtant bien vivants. La place de la République ne rassemble plus plusieurs milliers de personnes chaque jour depuis bien longtemps, mais elle continue d’accueillir chaque weekend quelques irréductibles de boutistes. Qu’il s’agisse du Front Social ou de Génération ingouvernable, les acteurs du printemps 2016 sont déterminés à maintenir la pression sur le pouvoir aussi bien sur le plan local que national. Ainsi, dès les premiers et seconds tours de l’élection présidentielle, le Front Social organise des manifestations sur des bases clairement politiques tout en marquant une volonté de développer une autonomie d’action vis-à-vis des centrales syndicales.

Et puis il y a aussi la ZAD de NDDL qui a permis de montrer que seule un engagement au long court sur un territoire bien identifié pouvait accoucher d’une victoire, aussi amère soit-elle.

Au final
On constate d’un côté une dérive autoritaire de l’Etat à partir de 2014 que Macron n’a fait qu’amplifier par son fonctionnement vertical et l’appui de son parti unique LREM. Cette dérive porte en elle le signe d’une très dangereuse banalisation des idées d’extrême droite (goût pour l’autoritarisme, xénophobie, racisme…), signe que les efforts initiés par l’extrême droite théorique depuis les années 1970 porte ses fruits et que les graines semées par Soral, Dieudonné et cie portent leurs fruits.
En face, on constate une mort des syndicats et des partis de la gauche classique qui ne se renouvelle que dans une France Insoumise tout aussi habile que fragile, un phénomène naissant lors du CPE, puis devenu un fait acquis en 2016. Désormais, même la France Insoumise est incapable d’exercer la moindre hégémonie sur le mouvement des GJ et se contente d’adopter une attitude passive (bien que beaucoup de ses militants soient partie prenante).

Au final, on constate que les pratiques qui sont apparues sur la place publique en 2016 (manifs sauvages, occupations, zadisme, automédias, réseaux sociaux) ont acquis une forme de légitimité au sein d’une large partie de la population et se retrouvent dans le mouvement des Gilets Jaunes – même si ces derniers n’y font que très rarement référence.

Dès lors, quelques réflexions :

Les obstacles et dangers

Classiques/politiques
Tout d’abord, il y a les élections européennes : comment résister à l’occupation médiatico-politique de la campagne dans les médias et ailleurs? Est-ce que les militants FI, UPR et autres impliqués dans les GJ ne risquent pas de saborder le navire en cherchant à orienter le mouvement? Il faut noter que sur ce point-là, il n’est pas question de pouvoir (le parlement européen n’en a pas vraiment) mais de gagne-pain pour les partis politiques.

Comment lutter contre l’entre-soi qui peut se développer entre personnes qui bougent ensemble depuis plusieurs mois? Le fait de rompre son isolement et de construire de nouveau liens (on entend parler de « nouvelle famille ») ne risque-t-il pas de répondre à une partie du mal-être qui a motivé la mise en mouvement des individus, et donc, en conséquences, enrayer celui-ci?

Comment éviter que, du fait du développement d’outils d’organisations, des micro-pouvoirs émergent localement et entraînent des conflits internes? Je pense notamment à l’expérience de Nuit Debout.

La répression policière a pour principal objectif d’éloigner des cortèges et des ronds-points les plus craintifs et/ou fragiles. À terme, la peur fait qu’on se retrouve qu’avec de faibles nombres et l’absence de masse critique à même de construire un rapport de force réel dans la rue et, par ricochet, dans les entreprises.
Comment enrayer cela? L’interdiction du LBD pourrait-elle suffire?

Et puis, dans certaines villes, il y a la peur des milices d’extrême droite qui peuvent s’attaquer à des personnes identifiées comme « gauchistes », homosexuelles, ou « étrangères ». Couplée à la répression policière et judiciaire, il peut paraître dangereux de participer aux manifestations.

Les gilets jaunes, du moins les plus médiatisés, demandent au pouvoir de les entendre, d’agir. Donc au final, ils n’aspirent pas au renversement des institutions ou à accéder au pouvoir, mais seulement à l’« assainissement » des structures en place, des pratiques des élus, à ce qu’on les écoute, que le gouvernement agisse. C’est notamment le RIC, placé en tant que revendication principale, qui incarne cela.

L’extrême droite
Le mouvement a été lancé sur une base dite « apolitique ». Et il est rapidement apparu, dès les semaines qui ont précédé le 17 novembre, que de nombreux militants d’extrême droite étaient partie prenante d’un mouvement que certains pouvaient qualifier de « poujadiste ». Ce n’est pas pour rien que L’imagerie nationaliste qui a inondée les différents groupes facebook, ainsi que certains discours relayés étaient clair : l’extrême droite infusait le mouvement. Au fil du temps, ils se sont fait bien plus discrets, notamment suite aux accusations du pouvoir et à l’implication des collectifs antifascistes dans les manifestations. Désormais, l’extrême droite parait fort discrète, voire absente de certains cortèges.

Il n’empêche, on constate que les GJ se distinguent par un fourre tout idéologique où se mêlent citoyennisme, communisme, nationalisme, anarchisme, poujadisme, complotisme, populisme et confusionnisme, le tout au nom du « peuple » et de « l’humanisme ».

En réalité, il semble que tout soit permis de penser tant qu’on est contre Macron et le système « oligarchique » qu’il incarne.

C’est ainsi que tous les extrêmes et ennemis du système politique en classe peuvent porter le gilet jaune : cela va de certaines organisations royalistes à des mouvances autonomes, des fans de Dieudonné l’antisémite à certains collectifs antifascistes qui se côtoient dans les mêmes manifestations. Et nombreux sont les gilets jaunes qui n’y voient aucune forme de contradiction : ils sont tous le peuple en lutte contre le tyran Macron.

Pour pas mal de personnes (souvent des militants et/ou intellectuels), le jaune semble plutôt résulter d’un mélange rouge brun, ce qui explique le retrait de nombreuses personnes dont la participation pourrait s’avérer fort précieuse au mouvement : militants, intellectuels, artistes, femmes, personnes racisées etc.

Le danger c’est que tant que cette acceptation de l’extrême droite au sein des GJ perdurera, les accusations d’antisémitisme, de xénophobie, de sexisme et autres portés contre les gilet jaunes feront mouche. Quoi qu’en disent la majorité des gilets jaunes.

Et puis il y a la police : si celle-ci venait à faire défection au pouvoir, ça pourrait être la composant d’extrême droite/rouge brune du mouvement qui en tirerai le plus profit.

L’information
Les fakes news : elles sont dangereuses car on se rend compte que quelqu’en soit l’auteur, elles circulent rapidement.
Les médias ont contribués à faire le mouvement et peuvent ainsi chercher à le tuer en le rendant invisible.
L’usage des réseaux sociaux tels que facebook et des nouvelles technologies de l’information (smartphone etc) pose également un problème : il semble qu’il n’y a pas de véritable réflexion critique sur les dangers qu’il comporte.

Dans les entreprises
Entre la compromission des syndicats, l’ubérisation de la société et l’aversion générale, il est nécessaire de trouver d’autres techniques de résistance au sein de la machine à produire. Il faut tirer les leçons de la situation actuelle : la dérive autoritaire de l’Etat fait écho au totalitarisme qui s’exprime dans les boîtes = il n’y a plus de démocratie, de plus en plus de luttes (dures) et de violence. Que peut apporter un mouvement comme celui des gilets jaunes?

Solutions et suggestions
– Attaquer Macron pas seulement sur ce qu’il est (Monarque républicain sans envergure) ou ce qu’il dit (provocations à répétition) mais sur ce qu’il fait : privatisation des aéroports de Paris, positionnement diplomatique, réformes, etc.

– Dans le contexte de la politique institutionnelle (par ex les européennes) : cibler le couple LaREM/FN qui se nourrissent mutuellement et qui ne respectent pas le pacte républicain défendu par les GJ.

– Développer et soutenir les expressions artistiques, notamment dans les manifestations.

– Faire un bilan sur ce qui fait la force du mouvement : le nombre, les ronds points, les émeutes, les médias???
Pour ma part : ce sont les ronds points : convivialité, boisson, repas, activités de construction, inscription territoriale.

– Face à la confusion ambiante, afin de résoudre les conflits qui ne peuvent qu’émerger avec le temps et pour construire un commun intellectuel et idéologique : l’educpop.

– Il faut avoir de l’ambition : viser le renversement intégral du système et orienter les action vers l’international (Europe et monde via l’institutionnel et la solidarité politique entre les peuples)

– Développer des buts politiques précis et réalisables, fixer un calendrier commun (Commercy peut le faire).

Comment gripper la machine : le constat étant d’une radicalisation de l’oppression managériale et des contraintes imposées aux travailleurs, il est nécessaire que ces derniers s’organisent en conséquence. Le modèle du syndicat s’appuyant sur le respect du pacte républicain ne semble plus être adapté. Il faut plutôt s’inspirer du forme de syndicalisme de résistance tel que celui développé par les populations assujetties à un pouvoir autoritaire. Je pense notamment au marronage des esclaves, qui s’organisaient en secret dans des espaces libérés du joug esclavagiste et qui revenaient travailler sur la plantation conspirer en silence contre le maître et ses sbires.
Le mouvement peut devenir un marronage à même de, à terme, de développer une véritable conspiration à large échelle contre le capitalisme, et envisager, un jour un passage à l’action.

Quelques questions

Comment concilier des personnes qui ont des références révolutionnaires différentes ? Les GJ sont très 1789 quand les militants sont plus 1793 et 1871. Pour l’instant, la convergence ne se fait que via l’émeute et la detestation de Macron.
Comment rallier les intellectuels, les artistes, les étrangers (métèques), les célébrités?
Comment envisager une grève générale quand l’écrasante majorité des travailleurs ont oublié ce qu’était la grève?
Que faire de la police et de la gendarmerie?
Comment inclure et articuler les très nombreuses thématiques et luttes qui conditionnent ce que sera le monde de demain?

Pour résumer : à partir de l’état actuel du mouvement, comment dépasser la simple colère et construire quelque chose de positif, solide et durable?

Quelques suggestions de lecture :

Après Commercy. Dynamique de groupe et économie politique des Gilets Jaunes, par

Les lettres jaunes

Samuel Hayat : « Les mouvements d’émancipation doivent s’adapter aux circonstances »


l’enregistrement complet de la discussion.

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