Vendredi 13 mai//74 mars à 14h.
Enregistrement audio de l’intervention :
De nouveaux droits pour les grosses entreprises au nom du secret d’affaires
• Qu’est ce que c’est ?
En France on parle de secret d’affaires, secret des affaires ou secret commercial.
Tout renseignement commercial confidentiel qui donne à une entreprise un avantage concurrentiel peut être considéré comme un secret d’affaires : secrets de fabrication, secrets industriels, secrets commerciaux. L’objet des secrets d’affaires inclut les méthodes de vente, les méthodes de distribution, les profils des consommateurs, les stratégies publicitaires, les listes de fournisseurs et de clients et les procédés de fabrication, recettes et formules, etc.
L’utilisation non autorisée de tels renseignements par des personnes autres que le détenteur sont interdites.
Jusqu’ici les systèmes juridiques en vigueur sont très variables en Europe. Il n’y a pas de lois spécifiques sur la protection des secrets d’affaires dans la grande majorité des pays. En revanche s’applique le principe général de protection contre la concurrence déloyale, des dispositions ou une jurisprudence spécifique sur la protection des renseignements confidentiels ainsi que des dispositions du droit du travail qui protège salariés et entreprises.
• Mobilisation des industriels
Objectif : Nouvelle doctrine juridique (différences par rapport à l’OMC qui laissait toute liberté à chaque Etat et n’imposait pas le concept du secret d’affaires, mais uniquement la protection des informations confidentielles)
C’est mieux que les droits de « propriété intellectuelle » (les brevets, par exemple), pas besoin d’inventer quelque chose et de prouver que c’est nouveau pour jouir d’une protection, pas besoin de payer chaque année l’office des brevets, tout type d’information peuvent être considérée comme à usage exclusif.
Argument : Protéger les PME et la protection des salariés.
Réalité : Grandes entreprises qui peuvent qualifier de secret d’affaires tout type d’information qu’ils ne veulent pas divulguer. Toutes les informations liées à l’entreprise seront protégées par le secret des affaires, sauf celles qu’elle décide de rendre public. Inversion du mouvement pour la transparence, l’information des citoyens et consommateurs et la divulgation de données scientifiques d’intérêt général. Le secret n’est plus l’exception qu’il faut justifier, mais la règle.
Exemples :
– Industrie chimique, cosmétique, alimentaire, Monsanto, etc. (refuser de signaler la présence de produits dangereux dans la composition, rejets dans l’environnement, etc)
– Industrie pharmaceutique (effets secondaires, bloquer l’accès aux résultats des essais cliniques, etc.)
– Forages, gaz de schistes (injection de produits dangereux dans le sol, refus d’en donner la composition, etc.)
– Bloquer la mobilité des salariés
Risques d’abus de la notion de protection
Agenda de l’industrie :
Depuis plusieurs années les lobbies poussent :
– au niveau national à travers le monde (US (signé hier), Japon, etc. En France, la loi Macron prévoyait un article sur le secret d’affaires. Les députés ont supprimé, le 13 février 2015, le volet relatif au « secret des affaires » du projet de loi Macron. Mais un projet loi existe, dans les cartons du gouvernement)
– Directive européenne : créer un socle européen de protection sans définition précise : c’est secret, ca a une valeur commercial, des efforts sont fait pour le maintenir secret. Ceci est très vague, et donc inclusif : énormément de choses peuvent être considérées comme des secret d’affaires.
– TTIP : chapitre sur PI
– Lois nationales (transposition de la directive)
• Mobilisation de la société civile
– Collectif informel s’est monté au biveau européen, pour peser sur le Parlement européen depuis fin 2014 (syndicats, groupes sur santé, environnement, transparence, internet, etc.), voir déclaration et vidéo dans biblio.
– En France : Elise Lucet et un collectif de journalistes se sont mobilisés : Ne laissons pas les entreprises dicter l’info – Stop à la Directive Secret des Affaires ! : pétition signée par plus de 500 000 personnes,
• Panama papers
Fuite de plus de 11,5 millions de documents confidentiels venant du cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca, donnant des informations sur plus de 214 000 sociétés offshore et les noms des actionnaires de ces sociétés. Parmi eux se trouvent des hommes politiques, des milliardaires, des sportifs de haut niveau ou des célébrités. Les chefs d’État et/ou des membres des gouvernements de six pays (Arabie saoudite, Argentine, Émirats arabes Unis, Islande, Royaume-Uni, Ukraine) sont directement incriminés, tout comme des membres de gouvernements, certains de leurs proches ou associés dans plus de 40 autres pays (Afrique du Suf, Chine, Corée du Sud, Brésil, France, Inde, Malaisie, Mexique, Pakistan, Syrie, etc.)
… 2 semaines plus tard se tient le vote au Parlement européen sur la directive européenne.
• Directive européenne protégeant le « secret des affaires » adoptée 14 avril
Très large majorité 77 % vote pour la directive : 503 députés. 131 contre (essentiellement Greens, GUE, EEFD (5 étoiles italiens))
La directive dit :
Article 1.2 (a) the exercise of the right to freedom of expression and information as set out in the Charter of Fundamental Rights of European Union, including respect for freedom and pluralism of the media;
(b) the application of Union or national rules requiring trade secret holders to disclose, for reasons of public interest, information, including trade secrets, to the public or to administrative or judicial authorities for the performance of their duties;
(c) the application of Union or national rules requiring or allowing Union institutions and bodies or national public authorities to disclose information submitted by business which they hold pursuant to, and in compliance with, the obligations and prerogatives set out in Union or national law;
Article 4. (b) for revealing a misconduct, wrongdoing or illegal activity, provided that the respondent acted for the purpose of protecting the general public interest;
(e) for the purpose of protecting a legitimate interest recognised by Union or national law.
MAIS, que se passe-t-il :
– Si la protection n’existe pas encore dans la loi nationale ou la législation européenne (un produit cancérigène qu’on découvre…)
– Comment est définit la pertinence de la révélation (juge) et l’intérêt général – ou faute, malversation, abus, ou activité illégale
– Si action n’est pas illégale mais contre intérêt public : les sociétés offshore, l’évasion fiscale, qui se présente souvent comme de l’optimisation fiscale, où des firmes profitent de vides juridiques, ne sont pas illégales, voire sont encouragés dans différents pays (en Europe Pays-Bas, Luxembourg, Irlande, Jersey et Guernesey (UK)).
La loi ne condamne pas l’évasion fiscale, elle ne défend pas l’accès à l’information dans l’intérêt général et la transparence, ni les lanceurs d’alerte, mais elle protège le secret d’affaire.
• LuxLeaks :
Scandale financier révélant le contenu de centaines d’accords fiscaux avec le fisc luxembourgeois (évasion fiscale) : Apple, Amazon, Pepsi, Ikea, etc.
Le procureur a reproché au journaliste d’avoir enfreint le secret professionnel et celui des affaires.
18 mois de prison ferme requis contre les lanceurs d’alerte Antoine Deltour et Raphaël Halet, accusés d’être à l’origine des « LuxLeaks ». Le jugement est attendu le 29 juin.
Ils n’ont pas révélé des faits illégaux puisque les accords fiscaux ont été réalisés avec l’accord du Luxembourg. Ils ne sont pas protégés par la directive européenne. Pourtant ils ont dénoncé des faits qui vont contre l’intérêt général européen.
Enjeux actuels
• Quelle protection pour les lanceurs d’alerte (une autre directive ? une loi en France ?)
• Quelle assurance de transparence pour les citoyens face aux grandes industries et multinationales ?
• Quelle transposition nationale en France ?
Comme proposé pendant le débat à EducPop nous pouvons produire nos propres textes et les rendre publics (à partir de Nuits Debout ?) : sur la préservation de l’intérêt général face aux secrets d’affaires et sur la protection des lanceurs d’alerte. Au lieu de lobbies dissimulés par lesquels l’industrie écrit les textes pour les députés, produisons nos propositions de lois et d’articles en toute transparence en partageons les sur la place publique.
Vous pouvez me joindre à kgaëll@gmail.com
Bibliographie
• Directive : la version finale (accord Commission-Parlement-Conseil n’est pas disponible publiquement). La version initiale de la Commission européenne est ici : http://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX:52013PC0813
• Premier communiqué commun des ONG et associations : http://www.genewatch.org/uploads/f03c6d66a9b354535738483c1c3d49e4/Statement___EU_Trade_Secrets_Directive_Needs_Amendments.pdf
• Communiqué de la Quadrature du Net : https://www.laquadrature.net/fr/secret-des-affaires-agissons-pour-la-protection-des-lanceurs-dalerte
• Corporate Europe Observatory analyse le vote au Parlement européen : http://corporateeurope.org/power-lobbies/2016/04/trade-secrets-who-voted-what
• Article en français : http://www.europaforum.public.lu/fr/actualites/2016/03/ceo-secret-affaires/index.html
• Analyse de la directive avant le vote au Parlement européen en français : http://www.formindep.org/IMG/pdf/SecretsAffaires_AnalyseFR_FINAL.pdf
• Campagne des Greens/ALE contre le renforcement du secret d’affaires : http://www.greens-efa.eu/fr/trade-secrets-can-harm-13676.html
• Pétition Change : https://www.change.org/p/ne-laissons-pas-les-entreprises-dicter-l-info-stop-directive-secret-des-affaires-tradesecrets
• Petition Pollinis lancé suite au vote au Parlement européen : http://info.pollinis.org/fr/notoxicbizsecrets-consilium/
• Video du collectif informel qui s’est mobilisé au niveau européen : Say NO to the new laws on Trade Secrets – #StopTradeSecrets : https://www.youtube.com/watch?v=6oj-HLu_ny8
• Vidéo de Nicole Ferroni : https://www.facebook.com/nicoleferroniofficiel/videos/1155113397868948/
• Pétition française sur la protection des lançeurs d’alerte : https://www.powerfoule.org/campaigns/panamapapers/lanceurs-dalerte/prot%C3%A9geons-nos-lanceurs-dalerte